Entrevue avec Yara et Éliane de Espace L

Yara et Éliane, cofondatrices de l’Espace L, nous parlent de ce nouveau projet d’espace "co-working” qui verra le jour sous peu à Montréal.

Entrevue avec les cofondatrices de l’Espace L

 

Entrevue transcrite:

Opp: Salut tout le monde, ici Romain Chauvet pour Opportunités. Alors, on vous présente aujourd’hui Espace L. Un espace 100% féminin de coworking qui va ouvrir dans le Mile-End. On allait rencontrer les deux cofondatrices.

Opp : Qu’est-ce que le projet Espace L ?

Yara : Espace L tout d’abord c’est vraiment c’est la réalisation de ce que l’on voulait avoir en tant que travailleuse autonome. Donc, c’est un club social, un espace de travail spécialement pour les femmes. Puis, à travers ça on veut avoir une communauté et un espace donc, une communauté qui vit dans un espace et un espace qui vit à travers une communauté de femmes qui veulent échanger sur les sujets qui nous intéressent vraiment. 

Opp : Comment vous est venue l’idée de ce concept ?

Éliane : En fait, Yara, ça faisait plusieurs mois qu’elle y pensait. Puis, on s’est rencontré dans un mariage… c’est une vraie romance d’affaires qu’on a vécue. Puis, elle a commencé à me parler de son projet parce que l’on travaillait ensemble dans les cafés, les deux étant travailleuses autonomes. Puis, un moment donné, elle m’a dit : « Tsé Élaine, j’ai eu cette idée-là je trouve que les cafés ce n’est pas nécessairement approprié pour nous. Je trouve qu’on a besoin d’un endroit, d’un « safe space » pour pouvoir se rassembler; pour sortir un peu des espaces de coworking habituels qui sont… un peu le « bro club ». C’est beaucoup réservé aux start up de Tech donc, c’est normal d’y voir des grands groupes d’hommes. Puis, ce n’est pas problématique, mais ce n’est pas nécessairement adapté à ce que nous on avait besoin. Donc, Yara m’a présenté son idée puis j’ai décidé d’embarquer sur le coup. 

Yara : Dans le fond, l’idée d’Espace L je la raconte là toujours la jeunesse c’est moi qui était dans un espace de coworking, j’avais payé pour ma journée. Puis, je suis allée aux toilettes et j’ai réalisé que j’avais mes menstruations. C’est bizarre à expliquer, mais vraiment c’est ça. Puis, j’ai regardé partout parce que je n’avais pas de serviettes, pas de tampon sur moi donc, j’ai regardé partout et j’ai vu qu’il n’y en avait pas dans la salle de bain. Puis, tout d’un coup, je me suis rendu compte que dans le fond l’espace n’était pas adapté à mes besoins de femmes. Un besoin totalement naturel. Donc, ce n’est jamais pensé en fonction des femmes puis, j’ai dû retourner chez moi au bout d’une heure ou deux et à ce moment-là, là ça l’a commencé : pourquoi il n’y avait pas de tampons ? pourquoi je n’ai pas osé demander aux autres femmes qui étaient dans l’espace? Premièrement, il n’y en avait pas beaucoup. Deuxièmement, elles étaient toutes très très très concentrées sur leurs affaires. Et… je ne les connaissais pas. Puis, bon, pourquoi ils n’ont pas pensé à en mettre ? Pourquoi ils n’ont pas fait ça ? Là, j’ai comme réalisé que ces espaces-là, ils n’étaient pas toujours adaptés à nos besoins en tant que femmes. Puis, j’ai dit : « Bon, ben, je vais faire une recherche sur le web voir qu’est-ce qui se fait! » J’ai vu que ça se faisait partout ailleurs qu’il y avait de plus en plus de clubs sociaux féminins, de groupes de femmes qui se regroupaient ensemble pour travailler; pour boire un verre; pour parler de sujets vraiment qui étaient importants; pour briser les stéréotypes. Je me suis dit : « Bon, ben, ce n’est pas encore fait à Montréal. Je ne comprends pas… pis ça il n’y a personne qui va le faire ben moi, je vais le faire! » 

Opp : Quelles sont les réactions jusqu’à présent?

Éliane : En fait, ça dépend vraiment. Les premières réponses ont été assez positives surtout paris les entrepreneurs, travailleuses autonomes parce qu’on a vu que c’était un besoin qu’il y avait de briser l’isolement. Donc, beaucoup de femmes qui ont envie d’aborder des sujets qui ne sont pas nécessairement abordés en milieu de travail normalement. Donc, on a eu beaucoup de réponses positives à ce sujet-là. Donc, oui, on a eu quelques critiques, quelques questionnements… pour nous, Espace L c’est un « safe space ». Puis, il ne s’agit pas d’exclure les hommes, mais il s’agit d’inclure les femmes. Donc, le fait de travailler chez Espace L n’empêche pas les femmes de travailler avec des hommes, ça n’empêche pas les femmes d’avoir des partenaires masculins, c’est seulement qu’elles vont avoir un endroit pour elles; pour se rassembler; pour réseauter et pour briser cet isolement-là qui est commun aux travailleuses autonomes. Puis, aussi, pour sortir des stéréotypes que : « Ah, quand les femmes travaillent ensemble c’est toutes des bitches. Ou, c’est négatif comme environnement. » Non, c’est faux! Je pense que de réseauter avec des femmes qui ont soit le même parcours ou, au contraire un parcours totalement différent ça peut être qu’enrichissant pour eux. 

Opp : En tant que femmes, avez-vous été confrontés à des difficultés ?

Éliane : Le local !

Yara : (rires) Oui, le local! 

Éliane : Oui donc, premièrement, on a commencé à travailler avec une courtière femme qui malheureusement nous ne prenait pas au sérieux. Je pense parce qu’on était jeune. Puis, chaque fois que l’on visitait des places, on se faisait dire que l’on posait trop de questions. Qui… qui dit que quelqu’un n’est pas professionnel parce qu’elle pose trop de questions pour un local !? C’est vraiment ridicule! Puis, par la suite, on a commencé à avoir des résultats dès que l’on changer de courtier et que l’on a eu un homme. Donc, François… que l’on adore d’ailleurs! C’est un monsieur qui paraît bien, dans la cinquantaine et il a de l’assurance. À partir de ce moment-là, ça l’a commencé à débloquer. Donc, on a vu la différence. Ça l’a été assez problématique une fois que l’on s’est rendu compte de ça, parce que c’est assez blessant de se faire dire qu’on ne se fait pas prendre au sérieux parce qu’on est des femmes; parce qu’on est jeune; parce que j’ai des cheveux roses! 

Yara : Oui, parce que dans le fond ce qui est arrivé c’est que François a tout de suite cru au projet. Il est vraiment impliqué autant au niveau de la réalisation de façon professionnelle, mais, aussi émotionnellement. Vraiment, il aime le projet. Il écrit sur le projet. Il partage aux femmes qu’il connait autour de lui. Donc, François nous a vraiment aidés à trouver le meilleur local possible. Lorsque l’on a fait affaire avec l’ancienne courtière, on sentait qu’elle avait toujours un peu de résistance. Elle ne comprenait pas c’était quoi. Elle voulait juste se débarrasser un peu de ce projet-là qu’elle trouvait qui était un peu un fardeau. Puis, on s’entend, je pense que si on avait été des hommes avec un peu plus de pep, peut-être elle n’aurait pas eu la même réaction. Puis, ce qui est le plus triste c’est qu’on s’est fait considérer comme ça par une autre femme et non pas par un homme. C’est l’homme au final et on le dit souvent on a tellement d’alliés homme et c’est l’homme au final qui nous a vraiment aidés à pousser plus loin la réalisation d’Espace L.

Opp : Face aux nombreux défis comment restez-vous motivées? 

Éliane : En fait, on a les deux côtés Yara et moi. Yara c’est la personne qui veut toujours aller plus loin, qui veut toujours atteindre de plus grandes choses. Moi, de mon côté, je suis la personne personne positive qui dit : « Ça va bien, c’est normal que ça prenne du temps. Pour l’instant on est rendu à 67%, il reste 10 jours pour la campagne. C’est sûr que c’est un peu stressant, mais en même temps c’est une période… c’est l’été, c’est plus tranquille, car c’est les vacances! » Je pense que les gens attendent qu’on révèle notre espace physique, mais on a eu tellement de problèmes avec les locaux qu’on est en train de régler ce dossier pis on a vraiment hâte de que ce soit enfin officiel!

Opp : Ouverture prévue en septembre 2017 ?

Éliane : Exacte!

Yara : Oui, oui… On sait c’est où, c’est juste que l’on veut vraiment mettre la signature sur le papier pour l’officialiser. C’est juste que la dernière fois justement on avait un super beau local et c’est tombé à l’eau. 

Éliane : À la dernière minute! 

Yara : À la dernière minute donc, on n’ose pas trop trop se présenter… se prononcer là-dessus parce qu’on ne veut pas faire des fausses espérances. Le seul truc que l’on peut dire absolument c’est certain on va être dans le Mile-End. Et… on va être dans le beau secteur du Mile-End. Donc, à côté du boulevard Saint-Laurent. Proche des boutiques, des cafés, des bars. 

Opp : Quelles sont les personnes qui vous inspirent?

Yara : Plein! Oui à la base, Espace L c’est… la plus grande inspiration, quand j’ai regardé ce qu’il se faisait ailleurs, ça été The Wing. Donc, c’est Audrey Gelman qui est la meilleure amie de Lena Dunham. Je le dis toujours et les gens rient un peu. Mais, c’est une femme qui avait beaucoup d’accomplissements dans sa vie puis elle s’est rendu compte que en se changeant dans les toilettes d’un Starbucks que son pied a touché par terre quand elle changeait de soulier que ça n’avait pas d’allure. Il n’y avait pas d’espace pour elle où elle pouvait se changer, prendre un temps d’arrêt, discuter avec d’autres femmes… C’est stupide, les histoires se rapprochent (entre celle de Yara et d’Audrey). On dirait que ça se passe toujours au niveau des toilettes. Ben, c’est ça dans le fond, c’est que les femmes ont des besoins et les gens ignorent ces besoins-là. Parce que souvent, c’est des hommes qui vont créer les espaces, non pas des femmes. Donc, elle arrivait et elle s’est dit : « Moi, je vais l’ouvrir! » Puis, elle a fait un projet magnifique à New York qui rassemble beaucoup de gens. Elle est extrêmement féministe aussi, un peu rose bonbon, mais c’est vraiment inspirant ce qu’elle a réalisé. Puis, lors de sa série A, lorsqu’elle a réussi à aller chercher de l’argent après avoir démarré, elle est allée chercher 8 millions. Donc, pour moi, c’est vraiment inspirant. Il y a du potentiel puis elle fait de grandes choses. Nous, on va essayer de faire la même chose au Canada… on ose espérer! 

Éliane : Pour ma part, c’est… je n’ai pas nécessairement de noms précis, mais grâce à Espace L puis au premier événement qu’on a fait on a eu la chance de rencontrer vraiment plein de femmes qui au quotidien travaillent aussi fort que nous pour réaliser leurs rêves, qui ont plein d’embuches sur leur chemin puis qui continuent malgré tout. Donc, je pense que ma source d’inspiration quotidienne, j’ai vraiment eu un moment où j’ai été émue lors de notre premier événement puis que j’ai vu toutes ces femmes-là qui partageaient des peurs collectives, des angoisses puis qu’on pouvait enfin en parler puis qu’elles croyaient qu’elles n’étaient seules. Tsé, j’étais un peu en retrait puis j’ai vraiment été touché de voir ça. Puis, pour moi, c’est mon inspiration pour continuer.

Yara : Oui, je veux dire, au Québec on a tellement, surtout à Montréal, de femmes qui font des choses inspirantes. On a rencontré les filles de Béatrice Média, Adrianna et Mireille, toutes les deux sont extrêmement inspirantes. Puis, elles essaient de changer les médias au féminin surtout dans le monde du podcast. Puis, après, Catherine Roux qui elle fait Passeport en fût donc, ça, c’est le monde de la bière… un monde typiquement masculin. Elle arrive, elle fait quelque chose de différent. Il y a Raphaëlle Harvey qui est notre relationniste qui elle aussi tsé elle donne un petit coup de pouce. Puis, elle a toujours des nouvelles idées. On a rencontré tellement de gens! C’est… ça nous dépasse combien il y a de femmes qui font des belles affaires! 

Éliane : On a entendu une histoire aussi sur un groupe de femmes sur internet qui nous a un peu choquées. Donc, c’est au Saguenay. Des femmes qui vont travailler au centre-ville se font déboulonner leurs roues. C’est hyper dangereux. Puis c’est juste des femmes qui sont visées pour l’instant. Donc, pis c’est une fille qui habitait là à qui ça lui est arrivée qui nous a raconté ça. Nous on a été choquées! Ça fait juste nous prouver en fait qu’Espace L est là pour une raison et qu’il y a un besoin.

Opp : Est-ce que les filles que vous étiez seraient fières des femmes que vous êtes en train de devenir avec ce projet? 

Éliane : Moi, je suis convaincue que oui. J’ai toujours rêvé d’être entrepreneur. Puis, je n’ai jamais pensé qu’au fait que je sois une femme comme un problème. Puis, je pense qu’en fait qu’aujourd’hui je peux voir justement que c’est une force. Je suis vraiment contente de voir où l’on s’en va et de voir que l’on prend part à un mouvement social. 

Yara : Bien moi quand j’avais 8 ans je voulais être astronome… (rire). Alors, je ne sais pas si la fille… je pense qu’elle serait un peu surprise, mais on avait un truc au secondaire on écrivait des lettres et on les renvoyait après 5 ans. Puis, je l’avais lu après 5 ans, j’avais 16 ans quand je l’ai écrit donc ils me l’ont renvoyé vers 21 ans. Je n’étais pas très heureuse, mais aujourd’hui quand j’y pense je crois simplement que je ne l’ai pas reçu au bon moment. Parce que si je l’avais reçu maintenant je me serais dit : « Bon, oui! J’ai fait ce que je voulais! » Donc, je suis vraiment fière de ne pas être entrée dans le moule au final. Je n’ai jamais été dans le moule. Puis, je ne suis pas plus rentrée dans le moule. Puis, j’ai vraiment du succès à ne pas être dans le moule. 

Opp : Éliane, Yara alors, merci beaucoup!

Éliane – Yara : Merci! 

Espace L: https://espacelmtl.com/

The Wing : https://www.the-wing.com/

Audrey Gelman: https://en.wikipedia.org/wiki/Audrey_Gelman

Lana Dunham: https://fr.wikipedia.org/wiki/Lena_Dunham

Béatrice Média: http://beatricemedia.com/

Passeport en fût : https://passeportenfut.com/

Histoire des roues dégonflées au Saguenay : http://www.tvanouvelles.ca/2017/06/22/des-gens-samusent-a-deboulonner-des-roues-a-saguenay

Romain Chauvet

Romain Chauvet est un journaliste, animateur radio et télé, presse écrite et collaborateur sur diverses plateformes.